1h30 du matin : arrivée à Ouagadougou, 2h du matin : arrivée à l'hôtel en vélo. Pratique cet aéroport situé en plein centre-ville ! 2h12 : on toque à ma porte, c'est le gérant de l'hôtel. "Est-ce que tu as besoin de compagnie ce soir ? C'est 10 000 francs la nuit (15€)." Je crois qu'on vient de battre un record : 42 minutes entre l'arrivée dans un pays et la proposition d'une prostituée... La suite du voyage s'annonce torride !
8h du matin, après une courte nuit (seul :) ). Torride c'est le mot : il fait déjà 32° ! Direction plein Est, un peu au pif par les petites rues de Ouagadougou. Bonne ambiance africaine, bordel partout, le voyage commence bien.
Sortie de la ville par une belle route goudronnée, puis grande piste, puis petite piste, puis chemin, puis... ha tiens, je n'ai plus de route sur ma carte/gps. Bah, pas grave, le chemin continue, il doit bien mener quelque part...
14h30 : 39° à ma montre, il est temps d'arrêter. Je viens d'arriver dans un bourg, on me fait de grands signes pour discuter, l'ambiance est bonne, je décide donc de dormir là. Evidemment pas d'hôtel, mais "pas de problème", on demande au chef du village qui me trouve une "maison" (4 murs, 1 toit) pour passer la nuit. Toilettes communes dans le village (un trou), pas d'eau courante (puit), normal ! Je passe l'aprem à visiter le marché local (fruits et légumes à foison), et à discuter avec les gens du village.
Le trajet de la veille était sec et chaud alors que la région avait l'air bien verte sur ma carte... Si ça c'est vert, alors qu'en est-il du Nord du pays censé être désertique ? Pas le choix, il faut aller vérifier sur place. Changement de plan, direction le grand Nord ! Trajet tranquille pour ce deuxième jour, un petit 100km sur de bonnes pistes, et -- coup de bol -- la ville dans laquelle je décide de m'arrêter a un hôtel ! (Vraie douche, ça change du saut d'eau de la veille !)
Les villes ont peut-être l'air paumées et pauvres sur les photos, mais qu'on ne s'y trompe pas : toute la modernité est là ! 3G+ et salle de jeux vidéo ! (Bon pour la 3G l'utilité est pour l'instant douteuse vu que personne n'a de smartphone, mais ça va venir ! :) )
Egalement, concept de "chaleur" différente au Burkina... il fait 36° mais les gens sont en doudoune, et hallucinent de me voir en T-Shirt le matin (à 6h du matin il fait 27°, c'est le plein hiver !).
Les grandes pistes c'est bien pour faire de la distance, mais les petites pistes c'est plus amusant ! Ca tombe bien, sur mon gps j'ai justement un village à ~100km de petites pistes de distance où personne n'a de raison d'aller : la piste s'arrête là, après plus rien. Roule, roule, roule. Pas grand-chose à voir sur la première partie du trajet, si ce n'est une belle rencontre avec des écoliers d'un village (selfies, selfies, selfies !) :)
Le temps passe, la chaleur monte, les villages deviennent de plus en plus petits et paumés. L'ambiance change aussi. Jusqu'à présent les gens me saluaient d'un sympathique "salut, ça va ?", "bonne arrivée", "le blaaaââannc !" lors de mon arrivée dans les villages, mais on commence de plus en plus à me regarder comme un animal étrange. Les parents me font toujours de grands signes de bienvenue, mais les enfants s'enfuient.
Coup de bol, en roulant je tombe sur un adulte à vélo qui va justement dans le village dans lequel je veux dormir. Parfait, ça simplifie pas mal mon orientation au milieu des petites pistes ! Arrivée dans le village, les enfants s'enfuient (ça commence à devenir classique). On s'installe à la gargote du coin pour manger et les anciens du village viennent discuter. J'apprends que les enfants ont peur à cause de la menace terroriste qui plane au nord du pays -- effectivement, à 50km plus au nord Boko Haram vient de prendre le contrôle du pays... Mais une fois la première frayeur passée c'est l'attroupement !
Petit tour pour aller voir le chef du village qui me donne sa bénédiction pour dormir sur place (ouf), petite séance de drone dans le village (si jamais vous entendez parler d'un "blanc qui avait un avion dans son sac" c'est moi !), et je passe le reste de l'après-midi dans la salle télé du village (un écran branché à des batteries reliées à un panneau solaire) à regarder un excellentissime nanar "le sens du devoir 4" que je recommande chaudement. Je finis la soirée autour d'un thé avec les adultes du village. "La vie est dure", "il n'y a pas d'argent", mais ils peuvent quand même passer 6 mois par an à boire du thé sous leur arbre, donc ça va. (Pas de récoltes pendant la saison sèche, du coup ils glandent.)
Bref : excellente journée !
Ambiance formidable dans les campagnes, mais problème à l'horizon : il est clair que je vais bientôt manquer de crème solaire. Je n'avais pas prévu que le soleil allait taper si fort, et évidemment personne n'a jamais entendu parler de crème solaire dans les campagnes. Il me faut donc retourner vers les grandes villes -- Fada, à 130km de bonnes pistes semble tout indiqué. Roule, roule, roule. Pharmacie n°1 : fermée. Pharmacie n°2 : on n'a pas de crème solaire et notre fournisseur est en rupture de stock. Pharmacie n°3 : vous savez au Burkina personne n'en a besoin... Ha, et il n'y a que 3 pharmacies dans la ville... "Il faudrait retourner à Ouagadougou, ils en ont peut-être là-bas"... Au final je repasserai dans la soirée à la pharmacie n°1 qui -- coup de bol encore -- avait un unique tube de crème solaire en stock ! L'aventure peut continuer !
Allez savoir pourquoi, mais après 4 jour en brousse sous 39° je n'avais que deux envies : un vrai hôtel avec piscine et une glace. A Fada -- pourtant 4ème ville du pays -- ça n'existe pas. Je décide donc de continuer vers la prochaine grande ville (130km de pistes pourries).
Première rencontre de la journée : "Mes condoléances" "???" "Johnny est mort". Damned, même au milieu de la savane les gens sont au courant !
Arrivée à Tenkodogo. Il y a un hôtel avec piscine... vide :( Ca fera quand même l'affaire... Je suis un peu fatigué après ces 500 premiers kms de (mauvaises) pistes, donc je prévois un jour de repos. C'est aussi une bonne excuse pour tourner un peu plus dans la ville à la recherche de gens sympa. Dans les campagnes les gens sont cools, mais assez peu bavards -- on m'expliquera que c'est dû à deux choses : (i) ils n'ont jamais vu de blanc et donc ne savent pas quoi poser comme question (pas l'habitude), et (ii) beaucoup pensent que le blanc sait tout, et donc ils n'ont rien à m'apprendre ( :( )...
Dans les villes par contre les gens sont plus ouverts ! Je finis par tomber sur M. Kere Entyme, prince de Tenkodogo (son frère est roi de la ville), bavard et plein d'histoires ! Il me raconte la guerre qu'il a fait avec une chefferie du Ghana pour garder le contrôle de Tenkodogo (à la machette !), et me montre les grigris familiaux (aux pouvoirs extraordinaires -- il a gagné la guerre grâce à eux évidemment). On passe l'aprem et le lendemain matin sur sa moto à visiter la ville -- dire bonjour à ses amis et arrêts "bière de mil parce qu'il faut absolument que tu goûtes ça" (et lui aussi du coup) :)
Au passage il me montre tous les maquis (restau/bar/concerts) "avec des filles". "C'est normal vu que tu voyages seul"... "Ici c'est facile, tu rentres et c'est 2000 francs (3€ !!) pour la nuit"... Journalisme d'investigation oblige je suis passé voir le soir. Bon, ça fait pas rêver... musique trop forte et ambiance un peu étonnante : les gens viennent manger et finissent leur "repas" dans une des chambres à l'arrière de la cour. Qu'on se rassure, soirée tout à fait tranquille de mon côté, on ne m'a de toute façon rien proposé -- "les blancs n'aiment pas généralement, forcement vu le trafic qui passe dedans" me dit un client (et oui, il parlait des filles, poésie et raffinement :) ). De toute façon j'ai chopé une méga tourista, donc j'ai d'autres préoccupations...
Le prince se fait couper les ongles :)
Après 1 journée de repos, suite du voyage ! Changement d'ambiance au fur et à mesure de la progression : les enfants commencent à courir vers moi "donne-moi un cadeau". Damned, ça sent la zone touristique ! (Je n'ai vu aucune mendicité dans le reste du pays.) Et évidemment, ça ne manque pas, j'arrive dans un village "préservé" (ancien royaume d'une ethnie). Jolies maisons peintes, mais franchement ça ne casse pas 3 pattes à un canard.
Je suis toujours malade, je décide donc continuer un peu et de prendre une nouvelle pause à Pô (prochaine grande ville) -- en plus j'ai une bonne excuse : dans 2 jours c'est la fête nationale et un défilé est organisé dans la ville ! Bonne ambiance, et vu qu'il y a quand même quelques touristes les gens sont plus ouverts et bavards. Je discute un peu de la ville avec les guides -- développement du tourisme dans les années 70, etc. Apparemment la ville est aussi connue comme étant une "destination à hommes" : des mamies (70 ans) viennent dans la ville pour se trouver un beau jeune homme (20 ans) et repartent en Europe avec, du coup il y a pas mal de "multiculturalisme" dans la ville...
Après ces quelques jours de repos à Pô je me sens mieux, vélo donc ! Ha mais en fait non... en mode repos tranquille en ville ça va, mais impossible de faire du vélo : je n'arrive pas à boire suffisamment, et du coup je me déshydrate... Je fais 30km et boum, plus de force. Dodo dans un petit village du coup. (Ci-dessous ma maison du jour, partagée avec le fils de l'hôte.)
Le lendemain je pars très tôt pour éviter la chaleur. Il faut que je trouve un médecin, ça ne peut plus durer... Au choix, soit retourner à Pô, soit faire 70km jusque Léo. Evidemment je choisis l'option 70km. Bon choix puisqu'à Léo il y a un hôtel avec piscine... pleine ! Ha, je revis ! Enfin, presque... il faudra attendre la visite du médecin le lendemain et les antibiotiques magiques pour que je sois tout à fait remis d'aplomb. En attendant je profite de la piscine en bonne compagnie (les lycéens du coin). Pour une raison qui m'échappe je passe mon numéro WhatsApp à l'un des ados (surprise de voir un mec avec un smartphone probablement). Bon apparemment le numéro a un peu circulé au Burkina depuis... à mon retour à Lausanne j'avais 1450 messages non lus (ça n'est pas une blague). Pas de spam, mais apparemment je fais maintenant parti du groupe "rencontres à Léo" et ça flirte pas mal sur place ! :/
Probablement la plus belle rencontre du voyage : au bout de 30 km de route un homme en scooter m'aborde "viens voir mon collège, ça me ferait plaisir". Il m'indique sommairement la direction (pas facile, je n'ai ni la route ni le village sur ma carte). 1h plus tard je réussis à trouver le village en question.
M. Hamidou Sakande, instituteur, a décidé de créer un collège dans son village sur ses fonds propres. Avant les élèves arrêtaient en primaire, le collège le plus proche étant à 25km. Il gagne 300€ / mois et en investit 150 pour payer la construction du collège et payer 3 professeurs pour enseigner. Sa femme, assistante dans une école, n'a pas été payée depuis son entrée en fonction, il y a 2 ans, mais il s'en contente : quand les salaires impayés seront versés il aura ~2000€ qu'il compte intégralement investir pour acheter de l'engrais et des outils pour le village (avec l'accord de sa femme évidemment). Chapeau.
Je passe la journée dans le collège à discuter avec lui et les élèves. Petit tour chez le chef du village pour demander l'autorisation de rester la nuit. "Pas de problème", le chef est ravi, il m'offre même un poulet vivant pour fêter ça ! (Beau cadeau au vu du niveau de vie du village.) Bon, au moins maintenant je sais comment plumer et préparer un poulet...
Grosse journée, belle journée... qui fait réfléchir...
Roule, roule, roule... Je réfléchis à la journée d'hier... Que faire dans un pays qui n'a rien... Quelles sont les priorités ? Améliorer l'agriculture (une famine est possible au Nord dans quelques mois) ? Améliorer le système scolaire ? Créer des industries ? A qui donner ? Comment donner ? Clairement l'ambiance dans les villages ne dépendait pas de leurs richesses, j'ai été mieux accueilli là où les gens n'avaient rien... Ne rien changer ? ... ?
J'en suis là de mes réflexions quand mon vélo se casse. Retour à la réalité : les vis de mon porte bagage, bien malmenées pendant les précédentes semaines ont décidé de lâcher. Pas de vis bousillé, vis cassées en deux, porte bagage tombé sur la roue, en plein milieu de la savane. Impossible à réparer sans outil, mais je réussis à bricoler un truc à base de scotch et de vis récupérées sur mes sacoches en attendant de trouver un réparateur (10km plus loin dans un village). 5km après la réparation, boum, porte bagage re-cassé. Re-bricolage, re-10km lentement puis "vraie réparation" dans le village suivant. Bon, je n'ai plus de frein arrière, mais ça tient au moins. Dur dur les conditions de voyage sur les pistes au Burkina : chaleur, poussière (couvert de latérite au bout de 30 minutes de pédalage, poumons remplis de poussière en fin de journée), bosses, ... le matériel a été mis à rude épreuve... Avant de casser mon porte bagage j'avais déjà réussi à faire tomber mon dérailleur avant (la vis était tombée à force de vibrer, une première)... Pas facile le vélo sur place...
Je passe l'après-midi avec un homme d'affaire de Ouagadougou qui essaie de motiver les villages à investir dans l'éducation de leurs enfants (i.e., lui donner des sous pour qu'il construise une école). Il me ballade en moto entre ses différents projets de construction et on passe la soirée chez sa belle-famille... Enfin, pas tout à fait. Il a une femme à Ouagadougou, et une "copine" sur place (comme tous les hommes, la polygamie est monnaie courante au Burkina). "Ce qu'il a de bien à Kalao c'est qu'on peut toujours trouver une vierge, d'ailleurs je vais demander à ma copine si elle n'a pas une copine pour toi" (je n'avais rien demandé). Ha, le Burkina, toujours une soeur ou une cousine à marier, on m'a proposé un mariage au moins une fois par jour ! Bon d'habitude c'est cool et je déconne avec la famille "si tu me suis en vélo, pas de problème, mais je fais 100km par jour" (ça a découragé 100% des prétendantes :) ). Sauf que là la "copine" se révèle avoir 14 ans, et du coup ses "copines vierges" aussi... Bon, je fais comme si c'était normal, heureusement aucune n'est prête à faire 100km de vélo !
La fin du voyage approche, il faut que je rentre vers Ouagadougou. Je passe deux jours à tourner dans la campagne avant de revenir sur une grosse ville pour prendre un bus. Flemme de faire un gros détour pour contourner un fleuve, mais on m'a dit dans un village qu'il était possible de le traverser à pied. Une fois devant le fleuve, ça n'a pas l'air si évident que ça... Mon raccourci se transforme en détour, et je zigzague dans la campagne pour trouver un passage à gué (trouvé après 15km dans la cambrousse).
Quelques anecdotes "nourriture" : l'eau est souvent servie en sachet au Burkina, pas en bouteille. Et un paquet de biscuit insolite (fabriqué en Thaïlande, allez comprendre).
Retour en bus vers Ouagadougou pour éviter le trafic sur la route principale du pays. Tout le monde est en manteau dans le bus (alors qu'il fait 35°), mais peut-être avaient-ils raison : j'ai réussi à chopper un rhume !
Fin du voyage tranquille à Ouagadougou dans le marché pour faire mes courses de Noël. Au Burkina on m'a toujours demandé la somme exacte, il n'y a pas de tentative d'arnaque des touristes. Dans les villages c'était même la panique quand je payais avec un billet un peu trop gros (1000 francs, 1.5€) un plat qui en coûtait 100 (15 centimes) : il fallait absolument trouver la monnaie ! Idem au niveau du vol : j'ai toujours laissé mon vélo en vrac n'importe où, non attaché, et personne n'y a jamais touché (j'ai même dû expliquer plusieurs fois ce qu'était cet étrange objet sur mon guidon -- un antivol). Bref, le Burkina porte bien son surnom du "pays des hommes intègres"... sauf dans les marchés ! C'est le jeu, il faut marchander ! (Ca n'est pas spécifique aux touristes, tout le monde marchande.) Par combien diviser le prix initial, sachant qu'on m'avait toujours demandé la somme exacte avant ? Je me suis probablement fait avoir, mais c'est le jeu :) En tout cas ça m'occupe la journée.
Chouette voyage !
Pays très très pauvre, mais gens exceptionnels. J'ai été invité partout, on m'a même souvent payé à manger, alors que les gens ne possèdent rien (dans les villages il n'est pas rare qu'une personne possède moins de 10€ en tout et pour tout). Chaleur, poussière, routes en mauvais état, tout ça est bien vite oublié dès qu'on rentre dans un village. Destination idéale pour explorer des coins paumés hors des sentiers touristiques !
Egalement très content d'avoir fait le voyage à vélo. Les gens comprennent parfaitement la démarche et adorent l'esprit sportif !
En guise de conclusion finale, un peu de drone sur de la musique burkinabé... moderne (voir ce clip pour un exemple de ce qui passe en boucle sur les télés) :